La lecture d’un rapport parlementaire, pour enrichissante qu’elle soit, est généralement fastidieuse. Aussi, Eric Diard, député marseillais, co-rapporteur avec Eric Pouillat de la mission d’information sur la radicalisation dans les services publics (rapport déposé à l’Assemblée Nationale le 27 juin 2019), a eu la bonne idée d’en faire un livre « grand public » avec Henri Vernet, écrivain et journaliste. Les complices ne se sont pas bornés à exploiter la matière fournie par les 51 auditions à huis-clos de la mission parlementaire. Ils se sont livrés à un véritable complément d’enquête, recueillant de nouveaux témoignages, parfois anonymes. Il en résulte un ouvrage vivant, passionnant, inquiétant, qui sonne comme un cri d’alerte : il reste bien des failles dans l’appareil d’Etat face à la radicalisation.
Méthodique, le livre passe successivement en revue les principaux services publics concernés : les prisons, le secteur sportif, les forces de l’ordre, la santé, les transports, l’éducation et … la politique ! On y apprend que les détenus incarcérés pour des faits de terrorisme sont au nombre de 530, dont une cinquantaine de femmes, mais que les détenus de droit commun signalés pour radicalisation sont plus de 1.000. Ils sont suivis, en liaison avec la DGSI et la DGSE, par le service national du renseignement pénitentiaire, qui compte 300 agents formés spécialement. La libération de ces détenus, en fin de peine, ne laisse pas d’inquiéter les responsables politiques qui réclament des mesures de sûreté. Le secteur du sport n’échappe pas aux phénomènes de radicalisation : après la mise en place par le gouvernement en 2018 du Plan national de prévention de la radicalisation, dont un volet important concerne le sport, 7.000 établissements sportifs ont été contrôlés par les services du ministère, dont 130 pour suspicion de radicalisation, et cinq fermetures administratives ont été prononcées. Une quarantaine d’éducateurs sportifs et une vingtaine d’athlètes de haut niveau figureraient sur le fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation (FSPRT). Les fédérations sportives sont moyennement mobilisées sur le sujet, une trentaine d’entre elles seulement sur 117 ayant nommé un « référent » chargé de la prévention. Du côté des forces de l’ordre (malgré le drame de l’attentat à la préfecture de police en octobre 2019) et de l’armée, la situation paraît mieux maîtrisée, grâce au « criblage » des candidats par le service national des enquêtes administratives de sécurité (SNEAS), pour les civils, et par la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) pour les militaires. Il reste à parfaire ce criblage, non plus à l’embauche, mais en cours de carrière. Le même SNEAS est chargé depuis 2016 d’enquêter sur les candidats à l’entrée à la SNCF et à la RATP, mais aussi de formuler un avis en cas de changement d’affectation. Sur 9.000 dossiers transmis par la RATP, elle a reçu environ 160 avis négatifs du service, soit moins de 2%. La SNCF, sur 2.500 dossiers, a reçu 25 avis négatifs, soit 1%. Pour les personnels des aéroports, les badges qui donnent accès aux zones réservées (badges rouges) sont délivrés par le préfet après enquête de police. A Roissy, sur 80.000 agents disposant d’un badge rouge, 80 font l’objet d’un suivi pour radicalisation ; à Orly, 25.
Dans l’éducation, les principales difficultés proviennent des établissements privés hors contrat, voire carrément clandestins, et de l’enseignement à domicile. Depuis cinq ans, 70.000 élèves ont en effet quitté le circuit de l’Education nationale pour aller vers l’enseignement privé hors contrat ou la scolarisation à domicile. Il y a là un mouvement de fond qui préoccupe le ministère. La récente « loi Gatel » permet de réguler l’ouverture et de mieux contrôler la scolarité des écoles hors contrat. Depuis 2018, quatre écoles ont ainsi été fermées et trente empêchées d’ouvrir. Les écoles véritablement clandestines sont, et pour cause, une cible difficile à atteindre et les fermetures sont rares (école Sabil à Aulnay-Sous-Bois en janvier 2020, école « Ma bulle Récré » à Marseille en décembre 2018). A noter que, dans ce dernier cas, les élèves étaient déclarés comme « .scolarisés à domicile… d’où l’intention des pouvoirs publics de durcir les règles en ce domaine.
La « déradicalisation » est-elle possible ? C’est sur cette question que se termine l’ouvrage. Eric Diard rappelle que la déradicalisation a été un moment dans l’air du temps : un centre spécialisé a même été ouvert pour ce faire en Indre-et-Loire. Il a fermé moins d’un an plus tard sur un constat d’échec : sur 30 places disponibles, 9 seulement ont trouvé preneur. Et de conclure que « s’il n’existe pas de méthodes de déradicalisation, il existe en revanche de bonnes pratiques de prévention (…) Le problème, c’est qu’il n’y a plus de plan ambitieux des banlieues depuis Boorlo ».
Eric Diard : né à Marseille, député des Bouches-du-Rhone de 2002 à 2012 (UMP), puis depuis 2017 (LR). Maire de Sausset-les-Pins. Co-auteur du rapport parlementaire sur la radicalisation dans les services publics (27 juin 2019).
Henri Vernet : journaliste, rédacteur en chef adjoint au Parisien et écrivain. Principaux ouvrages : Tous les coups sont permis (Calmann-Lévy, 2011, avec Renaud Dely) ; Frères ennemis (Calmann-Lévy, 2015, avec Renaud Dely) ; Article 36 (JCLattès, 2019).
Constat effrayant. Surtout pour une partie de la jeunesse. Dans les années 70/80, la ''mode''de contestation violente de la société occidentale étaient l'extrême-gauche voir un peu l'anarchisme, mais il n'y avait que quelques centaines de ''militants'' prêts à prendre les armes. Et quasiment aucun prêt à faire des attentats aveugle dans la foule. Que sait il passer pour que des dizaines de milliers de ressortissants européens rejoignent une organisation mortifère comme l'État islamique pratiquant l'esclavage ?