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Photo du rédacteurFrédéric Thiriez

La chronique littéraire de Frédéric Thiriez : "Une fille du Sud", de Juliette Granier.

Chronique parue sur le site Le nouvel Économiste


Premier roman

Comment la jeune fille solitaire et farouche d’une famille de viticulteurs parvient à s’accomplir pleinement en s’affranchissant de son passé et de ses complexes




 

En toute subjectivité, par Frédéric Thiriez





 

 














L’histoire commence par un mariage au mas, une maison entourée de vignes dans les Pyrénées-Orientales qui fait vivre depuis des générations la famille Magne. La petite Catalina, huit ans, y vit avec sa mère et sa grand-mère, Avia, la cheffe de famille qui mène son entreprise comme sa maisonnée d’une main de fer. “Comme ses parents et ses grands-parents avant elle, Avia Magne s’était mariée au mas. Nous l’appelions ‘le mas’, mais en vérité nous en parlions comme d’une femelle massive, arrimée au sol de glaise dont elle était pétrie. Nous la retrouvions partout, cette argile, sous nos ongles, sous nos pieds, au fond des puits et sur les toits.” Ce jour, on marie Ferràn, le neveu adoré d’Avia qui lui rappelle le fils qu’elle a perdu, et la jeune Olivia, issue d’une famille rivale des Magne, beaucoup trop belle pour être aimée… sauf de la petite Catalina dont elle est la déesse : “Elle captait et concentrait la beauté du monde… Il était bon de l’approcher, de l’effleurer comme par inadvertance pour vérifier qu’elle était bien réelle.” La petite fille, qui s’ennuie seule, observe attentivement cette troupe d’adultes s’agiter, sans bien comprendre leurs jeux.

 

 

Voir la réalité

Elle ne tardera pas à y voir plus clair. À quatorze ans, elle participe pour la première fois, ravie, aux vendanges, l’évènement de l’année : “Il s’agissait de l’argent de la famille, celui qu’Avia comptait le premier de chaque mois sur son cahier réservé aux opérations”, mais qu’elle donnait au compte-gouttes à la mère de Catalina qui ne protestait jamais. Avia aurait-elle l’intention de déshériter sa propre fille au profit de Ferràn, ce séducteur impénitent qui trompe déjà sa jeune épouse ? “J’aurais voulu qu’on se défasse d’Avia dans un trou à vieux, ma mère molle comme un flan aurait mérité un coup de pied au cul, et ça dégagerait le terrain si Ferràn se faisait carboniser dans une explosion.” Alors Catalina se réfugie dans la lecture. Après le bac, elle se verrait bien “faire lettres” et devenir ensuite écrivain, pour comprendre, dit-elle, ce monde qui lui échappe et la plonge dans l’angoisse : “Mais qu’est-ce que t’en as à foutre de voir la réalité ? rugit sa grand-mère. La terre, l’argent, le travail, c’est ça la réalité !”

 

C’en est trop pour la jeune lycéenne. Après un projet de fugue à Paris auquel elle avait finalement renoncé, elle se jette à corps perdu dans les études, le bac puis la fac de lettres à Perpignan. Elle goûte enfin à la liberté, à l’amitié des filles, aux premiers émois de l’amour avant de se résigner : “Je ne comprends pas les hommes. Je préfère les oublier ”.

 

 

Grandir seule

Sa vie bascule le jour où sa mère, émue comme une jeune fille, lui annonce qu’elle va partir vivre en Sicile avec un homme qu’elle a connu autrefois lorsqu’elle faisait du théâtre. La grand-mère abusive étant décédée entretemps, voici donc Catalina seule aux commandes du domaine viticole, responsable des contrats avec les distributeurs, de l’organisation des vendanges, de la comptabilité : “Ce fut un temps de jubilation”. Elle a juste vingt ans et toujours aucun homme dans sa vie.

  

Je laisserai le lecteur découvrir comment la jeune femme, à la fin, s’accomplira pleinement en s’affranchissant définitivement de son passé et de ses complexes.

 

Le premier roman de Juliette Granier, à travers une histoire somme toute assez banale mais qui sonne très juste, nous raconte comment se construit une femme qui a grandi seule. Il interroge sur le passage à l’âge adulte : faut-il se couper de ses racines pour se réaliser soi-même ? Faut-il détruire pour construire ? Faut-il fuir ou faire face ? Le propos est tour à tour pudique et violent, l’environnement, la campagne catalane, rude et séduisant à la fois. Assurément, cette Fille du Sud nous touche au cœur.

 


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