Chronique parue sur le site Le nouvel Économiste
Premier roman
Humour et tendresse au cœur d’une folle équipée en autocar pour aller disperser les cendres du père de famille dans les Pyrénées
En toute subjectivité, par Frédéric Thiriez
De père mauricien et de mère française, la jolie métisse Indira, trente ans (“Mon 95-D est ma plus grande fierté”) est en train de prendre du bon temps avec un amant rencontré sur Tinder lorsqu’un texto de sa mère lui annonce sèchement la mort de son père. “L’homme le plus singulier du monde” avait été vaincu par le cancer. Indira n’arrive pas à pleurer : “Nada, pas le début d’une inflexion mélancolique, pas le moindre vague à l’âme”. L’incinération a lieu le mercredi (“On n’a pas idée d’incinérer les gens un mercredi”), en présence de 284 personnes “dont seulement 42 avaient été conviées”.
À la réception qui suit la cérémonie, le champagne rosé coule à flots, “une boisson de gonzesse, faut pas déconner” aurait dit son père. Passablement ivre comme tous les amis présents, Indira, interrogée par l’un d’eux sur les dernières volontés de son père, croit se souvenir qu’il aurait voulu qu’on envoie ses cendres sur Mars. Mais pas la planète !
Mars est le nom du bar PMU en haut de Superbagnères “où qu’on s’arsouille avec ton père quand on a fini de grimper”, se souvient un de ses compagnons de vélo. Enhardie par l’alcool, Indira lance à la cantonade : “Qui veut m’accompagner balancer papa sur Mars ?”. Sur 284 personnes, soixante ont répondu oui, “et sur ces soixante, beaucoup trop ont tenu leur promesse”.
Road-trip improbable
Voilà donc Indira aux commandes d’une véritable expédition en autocar, de La Défense à Montauban-de- Luchon, avec sa mère, les amis de son père et sa propre “bande”. Ce road-trip improbable, qui passe par Auxerre, Dijon et Cahors, est ponctué d’incidents loufoques, comme l’incendie du car qui oblige à transférer les cendres du défunt dans un bocal à anchois, le tout dans une bonne humeur arrosée de bière glacée, la boisson préférée du père, et de champagne chaud. Lorsque l’autobus est immobilisé pour avoir percuté une herse, l’un des compères donne des cours de yoga sur le toit du car, en commençant “par quelques mantras en sanskrit”.
Indira redécouvre sa mère, “belle à en mourir” qui joue du piano et chauffe l’ambiance. Elle découvre, au détour des confessions des uns et des autres, qui était en réalité son père : “Mon père, cette splendeur. Mon père, cet étranger”, avant de réaliser à quel point elle l’aimait : “Il me manque, ce con !”. Elle se souvient d’une nuit à l’hôpital, où il la suppliait de le tuer et elle s’était mise à prier, elle qui se proclame athée : “S’il te plaît, Dieu. Est-ce que c’est comme ça que je dois t’appeler ? S’il te plaît, fais-le mourir”. Elle l’avait tenu dans ses bras toute la nuit “comme s’il était mon enfant, mon tout-petit”.
Rude, féministe et sentimentale
Le personnage d’Indira est peint comme au couteau. Elle est rude (“Ne jamais s’apitoyer !”), sauvage presque, comme la fille unique qu’elle est, elle parle cru (“J’ai mes règles, pas une fracture ouverte du tibia !”) et se méfie des hommes, bien qu’elle ne puisse pas se passer de sexe. Elle a été journaliste pour un
magazine féministe, tout en pensant que “toutes ces féministes en faisaient quand même un peu des caisses avec leurs histoires de patriarcat”. Ce qui ne l’empêche pas d’être aussi sentimentale et fragile lorsqu’elle évoque son enfance à l’île Maurice (“les jours mauves”).
Un premier roman à la fois drôle et touchant qu’on ne lâche pas avant la dernière page avec, en particulier un joli soliloque sur l’enfant unique.
Chronique à retrouver sur le site via le lien : https://www.lenouveleconomiste.fr/les-jours-mauves-de-kalindi-ramphul-116060/
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