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La chronique littéraire de Frédéric Thiriez : "Des gens comme il faut", de Florence Chataigner

Chronique parue sur Le nouvel Économiste


Premier roman

À la mort de son père, une femme se plonge dans les secrets de famille en espérant comprendre qui il était vraiment



 

En toute subjectivité, par Frédéric Thiriez

 






 













Fleur, la quarantaine, mariée, quatre enfants, vient de perdre son père, Jean, mort à 85 ans. Prise d’une frénésie de rangement en même temps que par “envie de se jeter tête la première dans les histoires sombres de la famille”, elle entreprend de trier tous les souvenirs, les siens comme ceux de son père, qui s’entassent dans la cave de son bel appartement parisien : “Violer l’intimité du défunt me semble un péché moins cuisant que la jeter aux ordures sans autre forme de procès”. Bien qu’elle ait la phobie des caves, elle se sent si bien “dans ce silence opaque et froid” qu’elle y viendra plus de vingt fois pour exhumer lettres, photos, cartes de vœux, faire-part de décès “et autres joyeusetés” témoignant de quatre-vingt-cinq ans de vie. Ce sont ces séjours à la cave (Cave 1, Cave 2, etc.) qui rythment l’histoire familiale, de 1935 à aujourd’hui.

 

Une famille parfaite

Jean, son épouse Madeleine et leurs deux petites filles, Nine et Fleur, avaient l’apparence de la famille parfaite. Robes à smocks et médailles de baptême autour du cou pour les petites, tenue chic et sobre pour les parents, tout ce petit monde allait à la messe le dimanche et obéissait au précepte paternel : “Les apparences doivent à tout prix être sauvegardées”. Ils habitaient Garches, dans un quartier bourgeois, et passaient leurs vacances sur la côte basque, à Guéthary. D’une famille d’officiers, Jean avait ajouté subrepticement une particule à son patronyme et personne n’aurait eu le mauvais goût de le remarquer. Madeleine, elle, était d’origine modeste mais faisait ses meilleurs efforts pour s’intégrer dans le milieu de son époux. Ce qui n’empêchait nullement ce dernier de lui rappeler, pour amuser la galerie, qu’elle était coiffeuse à Cambrai et que “sans lui, elle serait restée dans ses bigoudis et habiterait dans un gourbi”.

 

Car derrière les apparences qu’il faut préserver se cachent des vérités inavouées. Jean veut nier son homosexualité et se venge sur sa femme, laquelle se réfugie dans la drogue et multiplie les aventures masculines. Fleur, la narratrice, est ignorée, voire méprisée par son père, qui est en adoration devant l’aînée, Nine, à la beauté explosive (“Celle-ci, elle baisera à 12 ans, je te dis”). Il aurait voulu avoir un garçon comme deuxième enfant.

 

 

Secrets enfouis

“Le besoin de savoir qui était cet homme chamboule mon existence” écrit Fleur dans sa cave. Alors elle ouvre fébrilement les dizaines de boîtes à chaussures refermant les souvenirs personnels de Jean et de Madeleine.

 

L’un et l’autre ont vécu une enfance traumatisante. À l’âge de 10 ans, le petit garçon, alors enfant de chœur à Sainte-Croix de Neuilly, a été abusé longtemps par un abbé qui “lui a fait jurer sur tous les saints de ne rien dire”. Il ne s’en est pas remis. Madeleine, elle, se sent encore coupable de la mort de son petit frère de 3 ans, Joseph, tout juste opéré du cœur, auquel elle aurait transmis la coqueluche en le serrant dans ses bras. Elle se dit qu’elle aurait dû mourir à sa place. Sa mère est dévastée. Quelques années plus tard, la petite fille la découvre pendue dans le grenier… Deux êtres cabossés par la vie, ce qui fera dire à Fleur, quand débutera l’idylle entre Jean et Madeleine : “C’est l’histoire d’un tétraplégique qui demande à un aveugle de le ramener sur le rivage”.

 

La narratrice nous fait entrer dans l’intimité de la famille : la naissance de Nine, puis celle de Fleur, la dégradation irrémédiable du climat au sein du couple, la relation touchante entre les deux petites sœurs, si différentes mais si solidaires, la dépression de Jean et son obsession pour les jeunes garçons, les aventures de Madeleine et sa tristesse désarmante.

 

Faut-il mettre à jour tous les secrets de famille ? Telle est la question que le lecteur se posera sans doute après avoir tourné la dernière page de ce roman, bien écrit, habilement construit et empreint, toujours, d’une grande tendresse.

 

 

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